Des arts industriels au design
Fondée en 1803 sous le nom d'École de dessin, rebaptisée École régionale des arts industriels en 1884, École régionale des beaux arts en 1923, puis École supérieure d'art et design en 2006, l'ESADSE est depuis son origine étroitement liée à l'essor industriel et au développement économique d'une ville qui fut pendant tout le XIXe siècle à la pointe de la modernité industrielle. Son histoire épouse celle des arts industriels et met en jeu toutes les tensions qui s'y rattachent : art et économie ; esthétique et fonctionnalité ; souveraineté et commande ; beaux-arts, arts appliqués et arts décoratifs. C'est cette histoire qui a conduit l'École à développer un département design à partir de 1990 et à créer en 1998 la Biennale Internationale Design. Cette dynamique se poursuit aujourd'hui au sein de l'établissement public de coopération culturelle (EPCC) réunissant l'École et la Cité du design.
L'économie de la créativité
Particulièrement prégnante à Saint-Etienne, l'articulation des champ artistique et économique n'en est pas pour autant circonscrite au seul contexte stéphanois ou aux seules villes dites créatives : elle se trouve au coeur de la phase actuelle du capitalisme, telle qu'elle est envisagée par un certain nombre de philosophes, sociologues et économistes contemporains. Qu'on fasse le « portrait de l'artiste en travailleur » pour s'intéresser ensuite au « travail créateur », qu'on spécifie le capitalisme sous l'aspect de son « nouvel esprit » ou qu'on le qualifie de « cognitif » ou d'« esthétique », c'est toujours la même opération qui est en jeu : la mobilisation, dans le champ économique, de valeurs et de processus issus du monde de l'art, au premier rang desquels la créativité, considérée comme source principale de création de la plus-value(2). De cette opération, dont le design est un des grands vecteurs, Saint-Etienne, la Biennale internationale design et la Cité du design sont à la fois un laboratoire et un observatoire privilégiés.
Établissement d'enseignement à la création, l'ESADSE entend tirer le plus grand parti de son inscription dans ce projet de territoire et cet environnement « créatif » en phase avec la grande transformation socio-économique des temps présents.
(2). Cf. Pierre-Michel Menger, Portrait de l'artiste en travailleur. Métamorphoses du capitalisme, Le Seuil, 2003 et Le Travail créateur. S'accomplir dans l'incertain, Gallimard/Le Seuil, 2009 ; Luc Boltanski et ève Chiapello, Le Nouvel Esprit du capitalisme, Gallimard, 1999 ; Yann Moulier Boutang, Le Capitalisme cognitif. La Nouvelle Grande transformation, Ed. Amsterdam, 2007 ; Olivier Assouly, Le Capitalisme esthétique, Le Cerf, 2008. Voir aussi Laurent Jeanpierre, « L'art contemporain au seuil de l'entreprise », Valeurs croisées, Les Ateliers de Rennes. Biennale d'art contemporain #1, Les Presses du réel, 2009.
La reconversion d'un territoire
Associant un établissement d'enseignement supérieur artistique à un équipement consacré au design, cette nouvelle structure, envisagée comme outil de réflexion et d'anticipation des mutations sociales et des dynamiques économiques, est le fer de lance - à la fois emblème et levier - d'un grand projet de reconversion d'un territoire de tradition industrielle qui fut touché de plein fouet par les grandes crises et mutations économiques de la seconde moitié du XXe siècle. Sur le modèle de la ville créative théorisé par Charles Landry(1) et réalisé notamment à Bilbao ou Glasgow, il mise sur l'innovation culturelle comme facteur de régénération urbaine et moteur de croissance économique. Les initiatives prises dans le cadre de ce projet de reconversion ont déjà été consacrées puisqu'elles ont permis à Saint-Etienne d'intégrer le réseau des villes créatives UNESCO de design depuis novembre 2010. La participation à ce réseau concède une reconnaissance internationale à la ville pour les actions qu'elle mène dans le champ du design et de l'innovation. Par ce biais, la structure peut également accéder à une plateforme internationale d'échanges et de débats autour d'enjeux contemporains.
(1). Cf Charles Landry, The Creative City, a Toolkit for Urban Innovators, Earthscan, Londres, 2000. Voir aussi Richard Florida, The Rise of the Creative Class, Basic Books, New-York, 2002.